jeudi 9 juin 2016

Les "Papas!" de Michel Torrekens

« Papas » de Michel Torrekens
Recueil de nouvelles paru chez Zellige


La collection Zellige avait accueilli dans son catalogue des Vents du Nord le premier roman de Michel Torrekens, « Legéranium de Monsieur Jean » qui avait inauguré en 2013 le palmarès du Prix Saga du premier roman belge francophone. Torrekens nous revient, accompagné de 13 « Papas ! » qu’il met en scène dans autant de nouvelles qu’il dédie « A (son) père, né du silence et retourné au silence ». 



Si j’avais eu la possibilité de le soumettre à la rencontre radiophonique, ce qui ne m’a pas été permis faute de temps avant la « fête des pères », épisode annuel qui à n’en pas douter permettra à ce livre de trouver un public mérité, je lui aurais demandé de lever le voile sur cette énigmatique dédicace. On sait combien l’inspiration puise au plus profond des êtres lorsqu’ils décident de prendre la plume et de raconter des histoires. Rien n’est innocent : c’est ce qui donne sans doute à un récit authentique  cette faculté de nous devenir immédiatement proche, de ressentir dans la sincérité du nouvelliste à l’égard de ses créatures une générosité à laquelle nous ne pouvons qu’adhérer.
Pour deux textes de ce recueil, « Vader » et « Le fils de l’ombre », j’éprouve une sensation particulière, celle de retrouver, retravaillées, affinées, intensifiées  les nouvelles parues auparavant en revue et en particulier dans la revue « MARGINALES » à laquelle Torrekens rend hommage et exprime sa gratitude au directeur de celle-ci, Jacques De Decker. Je ne peux laisser passer l’occasion qui m’est ainsi donnée de mettre en évidence ce rôle particulier , pour Torrekens, des revues dans lesquelles il « teste » en quelque sorte le travail en cours. D’emblée, il sait que ces textes sont destinés à composer un tout cohérent, relié par un fil d’Ariane dont il délie, un par un, à son rythme, les nœuds et les intrigues. Dans « Vader », on aperçoit aussi l’emprise du réel, de l’Histoire sur la fiction avec ce personnage d’homme politique socialiste assassiné sur un parking de Liège, dont le même De Decker avait nourri le puissant roman « Le ventre de la Baleine » (Editions Weyrich).
Dans chaque nouvelle Michel Torrekens explore l’indicible lien qui se tisse entre un père et un enfant, le déroule dans le passé, en Belgique, dans un avenir imaginaire, en Afrique, en prison. L’enfant est garçon ou fille, l’énigme reste aussi subtilement éclairée par le regard du nouvelliste. Ceux qui le connaissent savent qu’il n’élève pas la voix, qu’il aime écouter, qu’il sait entendre, le regard malicieux contredit l’apparente bonhommie, la conviction n’enlève rien de la fragilité qui fait de ce tempérament attentif une source inépuisable d’empathie pour ceux qu’il rencontre aussi bien que ceux qu’il invente. Ses « Papas ! » sont baignés de cette tendresse qui transparaît, une fois le livre terminé, comme lorsque d’un tableau pointilliste on s’éloigne pour mieux l’embrasser.


Edmond Morrel, Bruxelles le 9 juin 2016